Temps de lecture 8 min
Le nombre de partenaires conjugaux qui se séparent force à nous interroger sur les difficultés rencontrées dans les couples. Le couple conjugal, son fondement, ses intérêts, ses valeurs, son évolution sont étroitement liés aux évolutions sociétales. « Faire couple » ne s’apprend pas dans les livres, souffririons nous de l’absence de modèle adapté à notre mode de vie contemporain ? Mais au fait, que signifie « faire couple » ? Et si avant de prendre la décision de se mettre en couple ou de se séparer, nous essayions de réfléchir à cela ?
Comment se définit votre couple ? Une question souvent embarrassante pour le couple en thérapie
Il existe en fait plusieurs définitions du couple mais toutes sous-entendent la présence d’au moins 2 êtres en relation formant une entité, « une petite institution ». Cet article concerne le couple conjugal. La conjugalité se référant au fait qu’un partenaire reconnaisse l’autre partenaire de même sexe ou de sexe opposé, en tant que conjoint dans une union libre ou légalement mariés, vivant dans un hébergement commun ou séparé.
Il convient de ne pas perdre de vue que les deux partenaires ne se sont pas choisis contrairement à ce qu’il est habituel de croire. Le choix suppose des essais, des comparaisons, des tests, une réflexion. Or le couple est bien souvent le fruit d’une rencontre fortuite, à partir de laquelle la dyade va construire sa propre histoire fondée sur des croyances, des secrets, des idées, un destin et des projets communs qui vont alimenter cette nouvelle relation qui va s’enraciner sur le territoire de l’intime du couple. Cette « petite histoire » que se raconte les amoureux pour expliquer leur rencontre et son caractère irrationnel, c’est ce que Neuburger appelle « le mythe fondateur du couple » ou encore « le mythe du destin (1)».
Robert Neuburger avance aussi le concept de « maison-couple »(2) pour évoquer cette relation singulière, marquée par l’identité du couple et constitutive de celui-ci et à laquelle chacun des membres se rattache, se sent appartenir et « s’accroche ». La « maison-couple » repose au minimum sur : le mythe fondateur, une attirance physique alimentée par des relations sexuelles satisfaisantes pour l’un et l’autre des deux partenaires, une communication régulière, de qualité suffisante et respectueuse de l’un et de l’autre, et des projets. Elle devrait être le lieu d’épanouissement des deux partenaires.
Cette relation doit être protégée du monde extérieur sans pour autant être hermétique à celui-ci puisqu’il est une source d’inspiration. Cette relation, tout comme le couple considéré au sens global dans une époque donnée, devrait être sans cesse requestionnée car les protagonistes doivent s’adapter à l’évolution de cette maison-couple et faire preuve de d’originalité pour la préserver.
Une relation singulière mouvementée ou simplement en mouvement perpétuel ?!
Le couple conjugal évolue au gré de l’environnement, lui-même mouvant (territoire, famille, époque, culture, religion, travail, maladie, rythme de vie, rapport au temps, ..) et du développement des individus qui le constituent. Autrement dit, le regard que nous portons sur le couple et les motivations de l’individu qui l’incitent à se mettre en couple sont adossés aux mutations sociétales plus largement. Aujourd’hui, l’individu prime sur le collectif et par conséquent sur le couple. Chacun veille à son épanouissement personnel. Le couple est le lieu qui participe à cet épanouissement et non celui qui le limite par des contraintes et des concessions. Cependant le vieil adage demeure « la liberté des uns commence où s’arrête celle des autres ». Appliqué au couple, cela veut dire que les partenaires qui choisissent de vivre en couple devront tenir compte des espaces individuels et communs ; il en va du respect mutuel de l’intimité, des pièces, du temps et des moments, et de la carrière professionnelle(3). De part ces nouveaux préceptes et « menaces » qui pèsent sur le couple, la durabilité du couple n’est plus garantie aujourd’hui, quand bien même elle serait recherchée et pertinente. Nous sommes, ces 60 dernières années, passés du couple fusionnel au couple fissionnel marqué par le désir d’indépendance. Le premier, largement influencé par la morale et la culture judéo-chrétienne, est le modèle romantique et idéalisé, fondé sur la passion, « l’amour pour la vie », tels Cendrillon, Roméo et Juliette, Tristan et Iseult,…
Aujourd’hui, le même fantasme est alimenté par les séries, les vidéos, les images relayées par les réseaux sociaux. Nous assistons à une surenchère au bonheur. On se photographie sous les meilleurs auspices et on fait circuler. Personne d’autre que soi ne semble avoir de souci quotidien. Le couple fondé sur ce premier modèle est une entité repliée sur elle-même et indépendante des parents. Ce modèle crée de fait une inégalité entre homme et femme, le romantisme étant supposé incarné par la femme soumise, infantilisée, corvéable, disponible, supposée répondre aux besoins de son époux et de ses enfants plus qu’à écouter ses propres désirs. Ce modèle a commencé à vaciller avec les mouvements de mai 68 et il ne résiste pas à l’émancipation des femmes. Le second modèle se revendique comme étant plus respectueux des libertés individuelles et il se nourrit de ses ouvertures vers l’Autre à la différence du modèle précédent. Le couple d’aujourd’hui semble aux prises de ces contradictions : les partenaires aspirent à l’amour idéal, l’amour passion qui suppose de « se donner » entièrement à l’autre dans une relation singulière mais aussi de recevoir dans les mêmes conditions. La contradiction vient de ce que les partenaires revendiquent en même temps, l’un et l’autre, leur liberté individuelle : faire carrière, conserver ses prérogatives, voir ses amis, avoir des relations extra-conjugales, … autrement dit répondre à un désir d’altérité. Le couple est conséquemment en équilibre instable car il est difficile d’être à la fois dans une relation passionnelle dont nous savons qu’elle est de courte durée, et la construction d’un couple qui nécessite des discussions et des compromis. Il est impossible d’être à la fois fidèle et infidèle, fermé sur son couple pour le protéger de la menace de l’Autre et ouvert à cet Autre pour s’en nourrir. En tout état de cause, les partenaires plaident aujourd’hui pour la reconnaissance de l’individualité, refusent l’aliénation de l’un par l’autre, et rejettent l’idée d’une sexualité qui s’affaisserait au fil du temps chargée du poids de l’habitude et du renoncement. La recherche conjointe de l’équilibre n’est-elle pas la garantie de la longévité du couple qui confère à l’un et à l’autre une forme de sécurité affective et matérielle et des perspectives d’évolution souhaitables pour l’épanouissement de chacun, les 2 partenaires et la maison-couple ?
C’est un exercice difficile si l’on en croit les statistiques sur l’évolution de la durée des couples et les recours aux thérapeutes pour les difficultés conjugales. L’environnement numérique est sans doute à intégrer dans le modèle de couple aujourd’hui car il est en même temps un outil permettant de renforcer le lien conjugal et celui qui le menace, tellement il facilite le recours à l’Autre.(4) Cette Autre qui nourrit la relation conjugale ou bien qui l’appauvrit peut être une relation extra-conjugale, les jeux en réseau, les podcasts, les vidéos, autant d’objets qui peuvent rapprocher ou éloigner les partenaires pour le meilleur et pour le pire.
Lire aussi | Le couple et l'hyperconnexion
Penser le couple autrement
La relation se nourrit moins de la tromperie que de l’authenticité puisque la rupture du « contrat » est possible le cas échéant. Non seulement elle est possible au plan symbolique et moral mais elle est plus facile au plan juridique. Les partenaires veulent vivre heureux, et si possible sur le long terme si la première condition est remplie. Il n’y a donc pas de place pour la suspicion aussi doit-on prendre la juste mesure des émotions provoquées chez l’autre : abandon, désintérêt, évitement, par la relation avec un tiers adultérin ou pas. Les outils connectés peuvent facilement provoquer ces réactions car ils favorisent l’isolement et la co-présence, c’est-à-dire le fait d’être en relation avec un tiers distant en la présence physique de son conjoint à ses côtés.
Nouveaux paradigmes, nouveaux outils, nous sommes donc confrontés à une inadéquation du modèle parental aux exigences sociétales du XXIe siècle, ainsi qu’à la double-contrainte (que nous nous infligeons) amour fusionnel versus amour fissionnel. Nous exigeons la liberté individuelle et nous aspirons à la vie de couple, Nous réfutons les contraintes et craignons l’engagement mais en même temps nous rêvons au romantisme, à l’amour exclusif, passionnel et fusionnel. Nous voulons l’indépendance et nous voulons ne pas être seuls. Le fameux 1 + 1 = 3, constitutif du couple, est possible sous réserve d’une réflexion individuelle et conjointe. La résolution de cette opération relève davantage de la raison et de l’ingéniosité que du romantisme. Nous prenons-là le risque de contrarier quelques amoureux et doux rêveurs. Il ne s’agit pas non plus de quitter le couple fusionnel pour revenir au modèle du couple conjugal basé sur les intérêts de la famille qui a lui aussi montré ses limites. Il s’agit d’ouvrir la voie d’un autre possible pour les partenaires qui s’aiment et qui ont la volonté de pérenniser leur couple sans sacrifier leur individualité, et en préservant l’intérêt des deux « Je » et du « Nous ».
Conséquemment, un nouveau modèle de couple est à inventer qui requiert du temps et de la réflexion. Ce modèle vise l’épanouissement de chacun des partenaires au sein de cette institution qu’est le couple. Il doit intégrer les évolutions sociétales et les technologies.
Les apports d’une thérapie de couple pour nourrir la réflexion
La permanence du couple est donc conditionnée par la capacité et la volonté du couple pris dans son contexte à s’interroger sur ces mutations et à s’adapter. Le modèle du couple parental qui a été transmis ne suffit plus car aujourd’hui, il faut intégrer des paramètres nouveaux. Les partenaires devront donc faire preuve de créativité. Couple marié ou pas, ce qui conduit les couples à consulter et conséquemment les thérapeutes à s’interroger, c’est davantage la dégradation de la relation. Du coup, nous devrions plutôt parler de relation que de couple pour expliquer le fonctionnement de celui-ci. En tout état de cause, la qualité et la pérennité de la relation au sein du couple repose et cela ne change pas, sur les trois composants, rappelons-les : le mythe fondateur, une attirance physique alimentée par des relations sexuelles satisfaisantes pour l’un et l’autre des deux partenaires, une communication régulière, de qualité suffisante, respectueuse de l’un et de l’autre. Le thérapeute peut aider les couples en difficulté à prendre conscience de ces enjeux et à les accompagner dans la recherche de leurs propres solutions(5).
Lire aussi | Psychothérapie au sein du couple
(1) (Neuburger, Nouveaux couples, 2004)
(2) Ibid
(3) (Singly, Libres ensemble : l'individualisme dans la vie commune, 2000)
(4) Pour aller plus loin, voir le dossier « Le risque potentiel de l’hyperconnectivité pour le couple conjugal », du même auteur
(5) Pour aller plus loin, voir le dossier « Psychothérapie au sein du couple », de Florence Tarrade, psychopraticienne